Carl ANDRE

144 tin Square, 1975

 

Etamé de 12 fois 12 carrés d’étain, le sol peut tinter sous les pieds du visiteur. Cette œuvre comme tant d’œuvres de Carl Andre abolit les notions d’élévation et de socle dans la sculpture. Il est ici question d’environnement qui offre au public un point de vue sur l’espace environnant. Comment l’artiste opère-t-il cette mise en situation ? Marcher sur ce sol exige de la part du visiteur de ne plus voir l’œuvre. Elle s’efface au profit d’un possible jeu du public, son invisibilité révélant une des caractéristiques du processus de création, son achèvement par le public. « Vous pouvez vous tenir debout au milieu de la sculpture et vous pouvez regarder autour sans même voir celle-ci, car la limite inférieure de votre champ visuel se situe au-delà de ses bords. » Proposer au visiteur de détourner son regard de l’objet d’art pour lui permettre d’appréhender l’espace environnant est non seulement une attitude singulière mais aussi partagée par de nombreux artistes des dernières décennies du XXe siècle.

Le titre 144 tin Square évoque davantage le nom donné à un jardin public que la présence d’objets de contemplation. Le principe de la série de cette même forme carré répétée tel un module participe de cette même volonté de souplesse. L’œuvre peut être montée, démontée sans imposer une quelconque ordonnance. La sobriété extrême est bien l’une des qualités communes à l’œuvre des minimalistes des années 60 offrant le moyen de réfléchir sur la perception des objets et leur rapport à l’espace.

 

 

Marcel BROODTHAERS

Salle blanche, 1975

 

La Salle blanche est la création d’un volume propre à l’œuvre, construction en bois d’une salle, grandeur nature. Cette salle n’est pas la réplique, la restitution fidèle d’une de 9 salles d’exposition version XIXe créées en contestation avec le cadre institutionnel traditionnel du musée. Les caisses de transport d’œuvres qui encombraient l’espace ont disparu. Des mots qui parcourent les murs et le sol de cet environnement, se référant au glossaire de la peinture du XIXe siècle, les remplacent. Broodthaers reconstitue une sorte de cabinet de curiosités à l’aide d’un décor en stuc et autres staffs, de boiseries d’ornement et de corniches qui couronnent l’espace.

Ce cube scénique joue sur l’ambiguïté entre la production d’un effet tableau et la réplique d’un espace architectural. Les liteaux de la structure s’avançant au premier plan dans l’espace du spectateur, son apparition possible à travers la fenêtre dans les coulisses de cet espace muséographique révèlent le dispositif d’une mise en scène. D’une interrogation sur le musée, cet environnement s’est transformé en interrogation sur la fonction de l’œuvre, celle du public, une notion chère à l’artiste : « (…) Il est (également) important de savoir si oui ou non le musée fictif éclaire d’un jour nouveau les mécanismes de l’art, la vie artistique et la société. Je pose la question avec mon musée. » La reconstitution toujours renouvelée de l’œuvre, entre 1968 et 1975, est révélatrice de l’attitude des artistes de cette période préférant une mise en situation toujours évolutive plutôt qu’une forme figée de l’œuvre

 

 

Toni GRAND

Double colonne, 1982

 

Toni Grand associe le bois au polyester stratifié pour élaborer deux éléments cylindriques qu’il fait tenir debout. Leur surface est travaillée en deux parties, l’une est marbrée, l’autre aplat doré. Les matières naturelles sont associées à celles artificielles sans qu’il soit possible de les distinguer. Ces éléments sensiblement identiques, sont distants l’un de l’autre. La matière, la verticalité et le volume cylindrique évoquent des troncs d’arbres coupés et redressés, rappelant un des matériaux utilisés pour leur fabrication. L’utilisation de matières naturelles associées à des matières synthétiques, marque un nouveau tournant dans l’Œuvre de Toni Grand, s’étant jusque-là consacré à la taille directe de pièces de bois entre 1970 et 1980.

Sans socles, ces sculptures ne délimitent pas d’espace sacré. L’espace de l’œuvre n’est pas séparé de celui du spectateur. Elles sont elles-mêmes socles, fûts de colonnes, tronçons monumentaux. L’artiste dit « essayer de faire quelque chose qui n’ait d’autre statut que celui du matériel d’expérience ». Dans l’ensemble de son Œuvre, Toni Grand, sculpteur, supprime le socle partageant la remise en question du support et du cadre des peintres du mouvement Supports/Surfaces. Ce choix marque la disparition du socle et de ses fonctions dans la sculpture contemporaine.

 

 

Subodh GUPTA

Sister, 2005

 

L’œuvre de Subodh Gupta est présentée pour la première fois au Musée. Elle est composée d’une table en bois sous laquelle est empilée une grande quantité de vaisselle en acier inoxydable et d’une vidéo présentant des scènes de buffets de mariages indiens. Quelle portée symbolique peut avoir cet ensemble d’éléments ?

Cette vaisselle en équilibre instable, entassée dans un soigneux désordre, constitue en Inde, le trousseau de la mariée. L’artiste issu d’une région rurale et pauvre située au Nord Est de l’Inde, met en avant un problème socioculturel dramatique lié à la dot excessive demandée aux familles des futures mariées. Le titre Sister que l’artiste donne à son œuvre témoigne de sa solidarité, de sa fraternité envers ces jeunes femmes qui se suicident parce que leur dot est insuffisante.

Ces Ready-made étincelants posés à même le sol sous l’image de la célébration d’un culte, reflètent la réalité de la femme indienne frappée aussi par d’autres drames, à tous les âges de son existence.

Ces ustensiles d’usage domestique et commun en Occident ont une valeur sacrée en Inde. L’artiste donne à ce ready-made balayé du support de la table, un sens paradoxal : à la fois matériau de culture populaire associé à un rituel, importé en masse en Occident et aussi objet de culte, étalon de la richesse de la mariée, de sa position sociale au lourd tribut. Entre tradition et modernité, l’œuvre porte à réfléchir sur les symboles et les codes du témoignage.

 

 

Peter KLASEN

Femme-Objet, 1967

 

L’ensemble de la toile peinte à l’aérographe est décomposé en plusieurs images superposées. Peter Klasen les isole, pratiquant systématiquement un recadrage de l’image, elle-même parfois découpée en bandes horizontales ou réduites à des formes totalement indistinctes. Il multiplie les cadrages serrés. Images encadrées ou recadrées, jeu de lumières, traitement du flou, usage du noir et blanc sont autant d’opérations plastiques qui se réfèrent au cinéma. Klasen éprouve une véritable fascination pour l’image cinématographique, comme nombre de peintres optant pour un renouveau figuratif. Comment arriver à représenter le temps par une image fixe ? Telle est la question que se posent les peintres de la figuration narrative dans les années 60. La simultanéité de différentes images rassemblées sur un même support en est le meilleur exemple, ce qui inspire, peut-on le supposer, des réalisateurs comme Peter Greenaway, à la même époque.

Peter Klasen juxtapose, à l’image du titre qu’il donne à sa peinture, le sujet et l’objet. Modèle de poupée ou d’un mannequin tiré d’une image publicitaire, image d’une voiture prise en pleine vitesse ou apparition d’une main portant un pistolet de peinture sont autant de représentations opposées  que l’artiste confronte pour désigner le rapport conflictuel entre l’être et l’univers de la machine.

 

 

Niki de SAINT PHALLE

La mariée, 1963

Eva Maria

 

Niki de Saint Phalle modèle une mariée en robe au blanc terne et sale. Sur son buste, l’artiste élabore un agrégat d’objets divers : petites voitures et autres modèles réduits, dentelles déchirées, corps et fragments de poupons. Dans la partie inférieure, le volume de son jupon se déplie en éventail. Les éléments hétéroclites sont entassés sans distinction tel un ossuaire. Le recouvrement de la peinture recréant une homogénéité dans l’assemblage. La tonalité est macabre : le tellurique et sa monstruosité enfouie rencontrent l’univers ludique enfantin.

De sa main, elle désigne la protubérance d’un sein, modelé en creux, lui-même éminente cavité.

Elle opère des déformations dans la plupart de ses sculptures de femmes qu’elle nomme Nanas. A travers cette tête disproportionnée et recouverte d’étoupe, l’artiste dépeint toute l’ambiguïté qu’elle décèle dans la condition féminine : femme à la fois mère, individu martyre et ogresse comme l’indiquent les jouets qu’elle porte sur sa poitrine au sein béant, mariée et déjà amante fanée. D’autres Nanas, Vénus plantureuses et colorées sont à découvrir au pied du Centre Georges Pompidou, dans la Fontaine Stravinsky.

Pratiquant l’assemblage de matériaux les plus hétéroclites pour créer un tout homogène, Niki de Saint Phalle partage les préoccupations du Nouveau réalisme que le critique d’art, Pierre Restany a défini dans les années 60 comme étant « le recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire ».